En ma qualité de chercheur en gouvernance numérique, j’ai eu le réflexe de mener une expérience simple mais révélatrice en publiant volontairement deux contenus opposés sur ma page Facebook, à cinq heures d’intervalle. D’’un côté, un symbole d’adhésion et de l’autre, un article de fond.
Le contraste dans les réactions a été saisissant. Ce test d’engagement comparé met en lumière une vérité dérangeante sur la manière dont certains de nos concitoyens interagissent avec les enjeux politiques.
La surface attire plus que la profondeur, le symbole plus que le sens.
La photo représente à elle seule plus de 90 % de l’engagement total (en commentaires) sur 5 publications analysées. Elle a généré plus de 11 fois de commentaires que l’article diplomatique (2 127 vs 122). Les 4 publications de fond cumulées (hors article diplomatique) n’atteignent même pas 10 % des commentaires générés par la seule photo.
Ce résultat est le reflet d’un désintérêt préoccupant pour les sujets qui conditionnent pourtant l’avenir du pays.
L’émotion domine, la raison recule. Le symbole s’impose, le contenu s’efface.
De plus en plus, l’ascension au pouvoir de certains responsables politiques repose non sur leur maîtrise des enjeux, mais sur leur capacité à construire un imaginaire émotionnel, à entretenir des récits identitaires et à marteler des symboles creux, séduisants qui activent la colère mais évitent la complexité.
Certains de ceux qui les défendent aujourd’hui ne le font pas sur la base d’un programme compris, encore moins évalué. Ils ne défendent pas une vision politique mais une appartenance. Ils n’ont jamais lu les engagements qu’ils prétendent soutenir. Ils les défendent parce qu’ils se reconnaissent dans un camp, une blessure ou un sentiment de revanche mais certainement pas dans une grille de gouvernance rigoureuse.
Le plus troublant, c’est que beaucoup adoptent les discours appelant à des débats de fond, tout en fuyant systématiquement ces débats. Ils prétendent vouloir parler d’essentiel, simplement pour ne pas assumer la futilité des sujets qui les accaparent.
Si même les esprits les plus éveillés, les citoyens les plus informés, se laissent eux aussi entraîner dans cette pente glissante de la distraction collective, il ne faudra pas s’étonner demain de l’échec des politiques publiques, de la banalisation de l’incompétence ou du naufrage des idéaux démocratiques.
Thierno Bocoum
Président AGIR – LES LEADERS
Crédit montage photo : Sokhna Soda Ndao

