Ousmane Sonko est un homme politique, brillant s’il en est. Il offre à notre regard n’en déplaise à ses contempteurs une race d’hommes pour qui l’action politique est un sacerdoce qui requiert don de soi, persévérance, altruisme et un zèle évangélique pour la patrie. Il a engagé avec succès un combat toutes voiles dehors pour le triomphe des vertus cardinales de justice et de liberté dans un pays, où soixante ans après les indépendances, des femmes meurent en donnant la vie ; où des véhicules de transport en commun hors d’âge circulent avec leur lot d’accidents qui occasionnent des centaines de morts par an ; où on entre en politique non pour servir la patrie mais pour se faire la pelote avec une rapidité éhontée ; où une impunité sidérante de mépris à l’égard du peuple est accordée aux voleurs à col blanc ; où les élèves font leurs classes dans des abris provisoires ; où l’eau potable et l’électricité, en dépit des progrès enregistrés ces dernières décennies, restent encore inaccessibles pour une frange importante de la population ; où une insécurité généralisée fait que sortir de chez soi à certaines heures, quelle qu’en soit la raison, vous expose aux attaques souvent mortels de bandits ou de déviants qui n’hésitent pas à ôter la vie qui pour étancher leur addiction d’alcool qui pour soulager leur faim. Il s’ensuit de là qu’il est naturellement malaisé, à tout le moins, de se poser en véritable redresseur de torts. Car, les politiciens à tous crins d’une autre époque qui ont mis le Sénégal en coupe réglée avec une rare rapacité carnassière ne reculeront devant rien pour vous faire payer votre désir ô combien louable de venger votre peuple de l’injustice et des violences tant morales que physiques auxquelles il est assujetti des décennies durant.
Méchamment décrit à l’origine sous les traits d’un saltimbanque politique plus enclin aux dénonciations calomnieuses qu’aux propositions programmatiques dignes de ce nom, Ousmane se révéla vite être un homme de son temps. Plutôt que de répondre aux coups en dessous de la ceinture par le coup de pied de l’âne, il s’évertua à développer une praxis discursive axée sur la bonne gouvernance, la sincérité, le rejet de la compromission, la constance, le refus têtu de la langue de bois, et la sensibilisation des masses en particulier la jeunesse sur l’impérieuse nécessité de couper les amarres avec une classe politique traditionnelle qui, toute honte bue, les suçait comme une sangsue depuis l’accession du Sénégal à l’indépendance. Ainsi, il parvint à dessiller les yeux à un peuple qui, à force de subir les contrecoups d’une gestion étatique qui faisait le lit de la parentèle népotique et de la gabegie corruptrice au détriment de la méritocratie, avait fini par en rabattre.
En homme admirable d’intelligence et de clairvoyance, il savait, à coup sûr, que sous nos tropiques la politique n’était pas un jeu d’enfants. La sédimentation des intérêts personnels et claniques inhérents à la gestion du pouvoir ou à la gravitation autour des cercles du pouvoir faisait que tout homme politique désireux de s’attaquer au système pour le bien du plus grand nombre s’exposait dangereusement. Pour autant, Ousmane ne s’est jamais dégonflé parce que doté d’un supplément d’âme lui permettant de naviguer avec bonheur les vents contraires. Ousmane est, en réalité, un homme qui n’est meilleur dans son élément que dans l’adversité. Depuis le lancement de sa carrière politique il a démontré à maintes reprises que les épreuves, si pénibles qu’elles puissent être, constituaient pour lui un adjuvant plutôt qu’un dissolvant à sa détermination farouche à réaliser son rêve. Un rêve traversé par le souci de son peuple.
Au mois de mars 2016, personne ne donnait plus chère de sa capacité et de sa volonté à poursuivre son action politique lorsqu’il fut radié de la fonction publique par le président d’alors Macky Sall, qui, voyant en Ousmane moins un poil à gratter qu’une menace à la réalisation de son rêve d’éternité au pouvoir, lui porta le coup de grâce dans l’espoir sournois d’en faire un chômeur moins tenté par l’aventure politique que par la recherche d’une pitance à ramener à la maison. Monumentale erreur de jugement de la part d’un président qui, avant son accession au pouvoir, vécut l’injustice sous toutes ses formes, mais qui reprit en pire, avec une désinvolture repoussante, toutes les tares qui émaillaient le magistère de son prédécesseur ! Dans un pays où l’obtention d’un boulot stable comme celui d’inspecteur des impôts et domaines relève d’un parcours du combattant, se voir radier au motif de son engagement politique est un sort pire que la mort. À la place d’Ousmane, beaucoup en auraient perdu jusqu’au goût de vivre.
Ousmane est un homme de son temps, disais-je. Il incarne ce que l’humanité a de meilleur : le courage, l’empathie et…l’altruisme. Autant de vertus cardinales pour le triomphe desquelles il l’a senti passer en philippiques, avanies, et humiliation de tout acabit. Le courage chevillé au corps, le franc-parler en bandoulière, le verbe parfois agressif pour exprimer le trop-plein de son cœur face aux misères d’un peuple qui, las de se faire payer en monnaie de singe, avait finit par développer une attitude apathique envers la chose politique, Ousmane est la droiture et le courage personnifiés.
Sans vouloir verser dans des envolées hyperboliques, le peuple sénégalais lui doit une fière chandelle en ceci qu’il l’a tiré du guêpier mackyste, ce guêpier qui a broyé, avec une méchanceté indicible, des jeunes et des vieillards dont le seul tort fut de rassembler leur courage et lancer une rampe pour plus de liberté et de justice sociale. Philosophe de la Grèce antique, Aristote parle dans Éthique à Nicomaque du courageux comme ayant « pour caractère d’affronter tout ce qui ou paraît redoutable à l’homme, parce que c’est beau et qu’il serait laid de ne pas le faire » (169). Dans la même veine, l’immortel Arthur Schopenhauer porte aux nues le courage grâce à la noblesse de caractère qu’il charrie. Le « pessimiste de Francfort » nous enseigne que le courage « consiste à percevoir clairement qu’il y a de plus grands maux encore que les maux présents, et qu’on pourrait se les attirer en s’y dérobant violemment ou en se défendant contre eux » (17).
À la différence de l’égoïste qui ne voit midi qu’à sa porte, le courageux se met volontairement en danger pour une cause dont le succès pourrait déborder sa destinée. Ousmane n’a jamais, en fait, réduit son combat politique à sa propre personne. En homme lucide, il savait que, au regard des enjeux, son combat politique pour un Sénégal meilleur n’allait pas être un long fleuve tranquille, et qu’il fallait faire preuve de courage inouï et d’intelligence pour peaufiner des stratégies de lutte à même de prendre par défaut ses adversaires. Par la grâce de Dieu, il y est parvenu.
Ousmane est, à mon humble avis, l’homme politique sénégalais le plus courageux et le plus doué de sa génération en matière de stratégie politique. Comme par enchantement, il a inventé un modèle de rhétorique politique qui séduit le plus grand nombre parce que traversée par le souci du peuple.
Encore qu’elle révulse ses adversaires j’allais dire ses ennemis puisqu’qu’elle met à nu leur manque d’inventivité crasse. Ousmane peut être haï. Toutefois, cela ne l’empêche pas de se hisser au faîte de l’onction populaire. La haine que lui voue une portion congrue est comme un éperon à son ardent désir de faire du Sénégal un pays où la corruption, le népotisme, la concussion, l’impunité, la politique de l’argent, une justice à deux vitesses, sont définitivement rangés dans les oubliettes de l’histoire.
Ousmane accroche son audience par des saillies pittoresques et son épaisseur humaine. De même qu’il lui arrive de semer ses adversaires par les traits d’une ironie mordante, sans arrière-pensée de vacherie. Bien que l’ancien président de la République ait usé de tous les moyens dont il disposait en tant que Premier de cordée pour réduire à néant son ambition présidentielle, Ousmane peut s’estimer triplement heureux. D’abord, il a fait élire président un homme pétri de valeurs infrangibles, telles que la dignité, l’honneur, la gratitude, le respect de la parole donnée, qui font le charme de l’ethnie serer. Ensuite, Ousmane n’est certes pas président mais il gouverne, ce qui n’est pas un pis-aller. Loin s’en faut. Enfin, Ousmane a réussi à faire adhérer à son Projet quasiment tout un peuple, dont la jeunesse qui s’est jetée au feu pour le protéger du rouleau compresseur étatique sous la houlette de Macky Sall, est le maillon essentiel.
Dr Mamadou Abdou Babou Ngom
Département d’anglais
UCAD
