La « précipitation » avec laquelle Attijari tente d’expulser Bocar Samba Dièye de ses trois immeubles n’est pas anodine
Libération révélait que, par décision rendue le 22 septembre dernier, le tribunal de Commerce s’était déclaré incompétent après l’opposition à
exécution d’une décision de justice formulée par Bocar Samba Dièye, dans l’affaire l’opposant à Cbao‐Attijari, contre l’ordonnance de référé rendue
le 3 avril 2017 par le tribunal hors classe de Dakar qui avait ordonné l’expulsion de l’opérateur économique des immeubles objets des Tf 8403/Gr, 16.797/Gr et 9293/Gr pour «occupation sans droit ni titre, ce tant de sa personne, de ses biens que de tout occupant de son chef». Ce, sur la base d’une prétendue créance de 7 milliards de Fcfa.
A sa décharge, cette décision du tribunal de Commerce est motivée. Selon nos informations, l’huissier exécutant, en charge de l’opposition, devait la déposer devant le juge des référés du tribunal de grande ins‐ tance hors classe de Dakar,
compétent en la matière, et non devant le tribunal de Commerce. Quoiqu’il en soit, l’huissier exécutant devrait faire une nouvelle opposition car dans cette affaire Bocar Samba Dièye a soulevé plusieurs réserves pour montrer que la banque ne pouvait pas en l’état l’expulser à cause de procédures pendantes devant la Cour suprême mais aussi d’autres à cause de «difficultés» de droit devant motiver un sursis à exécution de l’ordonnance.
Le premier argument brandi par Bocar Samba Dièye repose sur l’expertise en date du 2 sep‐ tembre 2020 intervenue donc après l’ordonnance du 3 avril 2017 l’expulsant. Les conclu‐ sions de cette expertise, homologuée par la Cour d’appel de Dakar, sont formelles. L’expert écrit : «J’ai procédé à une ana‐ lyse détaillée et objective de l’historique de la relation entre les parties ainsi que des opérations inscrites dans le compte ouvert par monsieur Dièye dans les livres de la Cbao (…). La Cbao n’a pas été en mesure de communiquer la convention de compte courant régissant les rapports entre les parties, d’où la nécessité, dans le cadre du présent rapport, de déterminer le taux effectif global de nature à examiner la pratique ou non de l’usure. Par ailleurs, mes investigations ont permis de constater la pratique de l’anatocisme (ndlr, capitalisation des intérêts échus non payés dans le cadre d’un emprunt) d’où ma proposition de déduction in fine de la somme de 388.452.420 Fcfa au titre des intérêts nés de cette pratique. Les conditions d’octroi des crédits n’ont pas été conformes, à mon avis, aux usages bancaires en raison notamment des besoins énormes de trésorerie de l’activité de monsieur Dièye jamais résorbés et du maintien du compte en situation de découvert chronique pendant plus de 60 mois, générant des agios exorbitants et, à notre avis, non justifiés. Dans ces conditions, je préconise la déduction de la somme de 2.006.790.414 Fcfa au titre de la quote‐part des agios, montant dont le détail a fait l’objet de calculs rappelés ci‐dessus. J’ai pro‐ cédé aussi à l’examen de la remise documentaire au regard des usages encadrés par les Rue 552 (ndlr, Réglementation internationale en matière de crédit documentaire) et indiqué
ma position quant à la déduction du montant de la traite comptabilisée dans le solde débiteur de M. Dièye, soit 5.650.000.000 Fcfa. Dans cette
hypothèse, le solde du compte entre les parties s’élève ainsi qu’il suit : 7.166.240.423 Fcfa ‐
388.452.420 Fcfa‐2.006.790.414 Fcfa‐ 5.650.000.000 Fcfa. Soit un solde de 879.002.411 Fcfa en faveur de M.Dièye ».
Sur la base de cette expertise, si la Cbao‐Attijari réussit à s’accaparer des immeubles de Bocar
Samba Dièye ce serait un enrichissement sans cause.
Enrichissement sans cause ?
Le deuxième barrage à l’exécution de l’ordonnance d’Attijari est que Bocar Samba Dièye avait fait inscrire des pré notations sur ses trois immeubles
saisis. Cette mention provisoire, portée sur les titres fonciers, permet à Bocar Samba Dièye de préserver les droits acquis dans un certain délai et d’éviter la vente des biens. Après avoir essayé de faire lever, en vain, ces pré notations, Attijari avait saisi le tribunal pour réclamer 3 milliards de Fcfa à Bocar Samba Dièye pour le paiement d’une
supposée indemnité d’occupation des trois immeubles. Mais, dans une décision rendue le 14 février 2025, la troisième Chambre civile du tribunal de Dakar avait débouté Attijari de l’ensemble de ses demandes comme étant mal fondées. Certes la banque s’était empressée de muter les immeubles à son nom dès qu’il y a eu adjudication mais la deuxième Chambre civile du tribunal de Dakar avait aussi condamné Attjari à payer à Bocar Samba Dièye 11 milliards de Fcfa à titre de dommages et intérêts pour s’être adjugée indûment les 3 immeubles de celui‐ci dont la valeur est estimée à 10 milliards. Loin des juridictions sénégalaises, Attijari avait contesté cette décision, motivée surtout par l’expertise indépendante, devant la Cour commune de Justice et d’arbitrage de l’Ohada (Ccja) basée à Abidjan.
En 2016 pourtant, c’est Bocar Samba Dièye qui avait saisi déjà la même juridiction pour contester la vente de ses immeubles ordonnée par les tribunaux de Dakar surtout que la défunte Cbao se baisait à l’époque sur un principe de créances. La Ccja qui avait or‐ donné la continuation des poursuites contre Bocar Samba Dièye, s’est curieusement basée sur la même décision, pour annuler la condamnation de la banque à lui payer 11 milliards. Mieux, alors que les avocats de Bocar Samba Dièye demandaient à la Ccja de se déclarer incompétente, elle a même remis en question l’expertise versée au dossier.
Offensive pénale devant le troisième cabinet
Cette décision de la Ccja en main, Attijari avait saisi la Cour d’appel de Dakar qui avait cassé la décision la condamnant à verser 11 milliards de Fcfa à Bocar Samba Dièye. Un arrêt contesté devant la Cour su‐ prême qui n’a pas encore statué mais les pré notations faites par Bocar Samba Dièye figurent toujours sur les états de droit réel des trois immeubles. En clair, à date, les immeubles ne sont pas encore «sortis » du patrimoine de Bocar Samba Dièye qui a néanmoins reçu un com‐ mandement pour expulsion en date du 14 juillet 2025. Voilà plusieurs questions de droit que le juge des référés du tribunal hors classe de Dakar devrait élucider. Mais au‐delà, et c’est surtout ce qui explique l’empressement de la banque, Bocar Samba Dièye a «attaqué» sur le plan pénal. Selon nos informations, il a déposé, sur la base de l’expertise judiciaire, une plainte avec constitution de partie civile pour « escroquerie et recel d’immeubles »ncontre la banque et son directeur général. Le juge du deuxième a pris une ordonnance pour fixer le montant de la consignation. Dès qu’il sera déposé, l’action publique devrait démarrer.
CMG, Libération
